Jean-Luc Perrard (Groupe PSA) : « nous avons quatre défis à relever, dont la relance des projets avec sécurisation de nos actifs »


L'IT, levier de transformation de toute l'organisation
Au travers des témoignages de DSI de très grands comptes, nous vous démontrons que l'IT permet la transformation des organisations et du business, aussi bien dans le privé que dans le secteur public.
DécouvrirDSI du groupe PSA, Jean-Luc Perrard, a depuis trois ans, contribué à deux plans stratégiques, le premier visant à reconstruire les fondamentaux économiques de l'entreprise, le second à déployer une stratégie de croissance. Un autre des défis à relever actuellement est bien sûr l'intégration de Opel/Vauxhall au groupe possédant les marques Peugeot, Citroën et DS. Jean-Luc Perrard a capitalisé sur les expertises techniques et la relation étroite avec les métiers en l'adaptant aux réalités nouvelles du Groupe PSA. Les services connectés, le digital ou les véhicules de demain font aussi, désormais, partie de son horizon avec des organisations duales.
PublicitéCIO : Comment la DSI est-elle organisée au sein du groupe PSA ? La logique bilingue est-elle toujours d'actualité ?
Jean-Luc Perrard : Nous ne nous sommes effectivement pas écartés du schéma mis en place par mon prédécesseur Daniel Zamparini, ce qu'il avait appelé « le bilinguisme IT/métier ». Nous en avons eu un retour avéré. Mais nous avons bien sûr fait vivre ce modèle en alignant le découpage des unités, ce que nous nommons désormais des Business Information Systems (BIS), sur les évolutions des besoins métiers. Pour mémoire, ce schéma fait juxtaposer des entités dédiées chacune à une entité métier et des infrastructures qui, elles, sont mutualisées.
Je peux citer quelques-unes de ces adaptations. Par exemple, il y a eu une croissance de l'importance de l'après-vente et, du coup, nous avons créé une BIS dédiée. Depuis 2015, il y a une BIS consacrée au véhicule et services connectés. A l'inverse, les BIS consacrées à la R&D et au manufacturing ont fusionné pour assurer une meilleure continuité numérique de la recherche à la fabrication. Cette fusion permet également de mixer les deux approches classiques, ce qui a un grand intérêt.
Carlos Tavares [Président du Directoire du Groupe PSA depuis avril 2014, NDLR] a mis en place des « régions » (Europe, Moyen-Orient-Afrique, Eurasie, Amérique Latine, Asie et Inde-Pacifique). Aujourd'hui, notre organisation est donc matricielle à trois axes : les régions, les marques (Peugeot, Citroën, DS...) et les métiers. Il existe également des business units transverses dédiées à certaines activités : véhicules utilitaires, véhicules d'occasion, véhicules électriques... La DSI a d'abord pour rôle d'apporter conseils et support aux métiers.
J'ai mis en place une « équipe commando » pour se projeter sur nos implantations hors d'Europe (la région Europe est proche du siège et de ses moyens) et pour mener des projets locaux avant de passer la main. La grande concentration des infrastructures menées depuis les années 1990 fait qu'il y a peu de Shadow-IT. Avec le plan stratégique « Back in the race » [mené par Carlos Tavares lors de son arrivée pour redresser les comptes du groupe PSA, NDLR], la situation a été encore apurée.
CIO : A l'heure du Digital, du véhicule connecté, etc., la DSI n'est-elle pas en risque d'être marginalisée face à des responsables de ces nouveaux sujets, peut-être davantage dans la lumière ?
Jean-Luc Perrard : Il y avait en effet un risque qu'il y ait un duo d'informatique : d'un côté celle avec le Champagne à la table du capitaine et de l'autre celle dans les soutes, les mains dans le cambouis. Pour éviter cela, nous avons créé une Customer Digital Factory en 2016 qui est un service commun à la DSI et au CDO. Cette entité a produit de très bons résultats, notamment sur des projets de marketing ou du digital client.
Après un an et demi de recul sur cette structure, nous avons décidé d'en dupliquer le modèle avec une Connected Services Factory. Cette entité fait travailler ensemble la DSI et les Services Connectés [service en charge de l'utilisation des données générées pour produire des services aux clients, NDLR].
Ces deux Factories vont d'ailleurs bientôt s'installer dans un bâtiment rénové.
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CIO : En mars 2017, le groupe PSA a racheté Opel/Vauxhall à General Motors. Comment Opel/Vauxhall vient-il s'insérer dans ce schéma prévu pour Peugeot, Citroën et DS ?
Jean-Luc Perrard : Opel/Vauxhall dispose de ses propres équipes dont les responsables métiers rapportent au responsable groupe correspondant. Ainsi, le CIO d'Opel/Vauxhall me rapporte. Est-il utile de préciser que l'intégration totale d'Opel est un gros défi ?
Opel/Vauxhall utilise 1300 applications du groupe General Motors majoritairement exploitées aux Etats-Unis. Bien entendu, la continuité d'exploitation fait partie des conditions du rachat. Et nous migrons progressivement Opel/Vauxhall vers les applications du groupe PSA. Evidemment, il n'existe pas de correspondance parfaite application par application.
Il y a de vraies différences entre nos deux IT. Par exemple, Opel utilisait les outils PLM de Siemens quand PSA utilise ceux de Dassault Systèmes.
CIO : Parmi les sujets de la plupart des grandes entreprises, il y a la migration des Mainframes vers des architectures plus modernes. Qu'en est-il chez vous ?
Jean-Luc Perrard : Le désengagement du mainframe est effectivement dans les tuyaux depuis très longtemps. Mais, à chaque fois, un accord avec IBM a abouti à ce que le mainframe nous coûte moins cher qu'une migration ! Du coup, nous sommes restés sur le mainframe avec accroissement de la capacité, suite à une saturation de celle-ci lié à la modernisation et à la forte croissance d'activité de nos outils pour les points de vente. Plutôt que de dépenser de l'argent à migrer, il vaut mieux discuter avec IBM car nos priorités sont ailleurs (digital...).
Opel/Vauxhall, comme son ancienne maison-mère General Motors, a beaucoup d'applications sur mainframe. Nous avons transféré des applications du datacenter de General Motors à Detroit sur un mainframe PSA.
Par contre, nous avons refusé les conditions inacceptables de certains éditeurs de logiciels. Et nous avons donc migré l'environnement d'exécution sur une plate-forme open-source équivalente.
CIO : Puisque l'on parle de Logiciels Libres, avez-vous une politique dédiée ? Les relations avec les éditeurs sont-elles difficiles ?
Jean-Luc Perrard : Les postes de travail « light » en usines sont sous Linux depuis une dizaine d'années. De la même façon, Linux équipe 50 % de nos serveurs en dehors des mainframes (avec quelques exceptions, sous AIX, pour l'activité bancaire). Quand nous le pouvons, nous utilisons les bases de données PostgreSQL et MySQL.
Quand nous avons négocié le rattachement d'Opel/Vauxhall aux contrats du groupe PSA, nous avons dû aller voir IBM, Microsoft, SAP, Oracle, Dassault Systèmes... Cela a duré trois mois. A cette occasion, nous avons négocié une migration des SAP du groupe PSA et de Opel/Vauxhall vers une cible commune sous S/4 de SAP.
CIO : Comment s'est déroulée l'intégration de la DSI aux deux plans stratégiques successifs de Carlos Tavares, Back in the race (2014-2015) et Push to pass (depuis 2016) ?
Jean-Luc Perrard : Le plan Back in the race avait une dimension essentielle de baisse des coûts pour reconstruire les fondamentaux économiques du Groupe. Nous avons procédé en deux vagues successives.
Pour commencer, nous avons regroupé, en interne, les équipes de développement trop spécifiques métiers. Nous avons également négocié un partenariat stratégique avec Proservia pour le support bureautique de proximité. La DSI a bien sûr tout fait pour réduire ses frais et nous avons accompagné le plan de départs volontaires.
Dans la deuxième vague, nous avons fait des choix. L'infrastructure a été gardée en interne. Mais nous avons souhaité adosser les activités développements et d'industrialisation à un partenaire technologique de premier plan. Mi-2015, nous avons mené un appel d'offres assez large avec, entre autres, TCS, IBM, Capgemini, Atos... En décembre 2015, Capgemini a été retenu. Les activités ont été transférées. L'exploitation applicative repose désormais sur 900 personnes de Capgemini dont 600 en Inde ainsi que sur un centre en Argentine avec 70 collaborateurs et 350 sous-traitants. Tous les métiers amonts (analystes, architectes, etc.) restent en interne pour que nous gardions une parfaite maîtrise de ces sujets. L'effectif interne de la DSI est désormais de 1 400 et nous avons accru notre productivité de 22 %.
Concernant notre activité bancaire de financement des véhicules (particuliers, points de vente...) logée dans Banque PSA Finances dont la filiale française est Credipar, son informatique utilise les infrastructures groupes via un contrat de prestations mais reste séparée. Nous avons un partenariat stratégique avec Atos à ce sujet pour le développement des applications de ce domaine. La banque équivalente de Opel/Vauxhall reste à part.
La fin de Back in the race s'est enchaînée avec Push to pass et, à partir du printemps 2017, avec le rapprochement avec Opel/Vauxhall.
CIO : Justement, concernant Push to pass, qu'est-ce que cela signifie pour la DSI ?
Jean-Luc Perrard : Ce plan vise à une relance de l'activité avec une double dimension : être un constructeur automobile de référence et devenir le fournisseur de mobilité préféré des clients. Cette deuxième dimension implique le développement de la digitalisation et donc un accroissement de la sollicitation de l'informatique. Aujourd'hui, nous visons à davantage d'accompagnement du business.
Vous aurez remarqué que 2016 et 2017 ont chacune connu un sujet majeur et un sujet inattendu. En quelque sorte, nous avons connu, deux années de suite, une double-année.
CIO : Avez-vous un exemple de ce plus grand accompagnement des métiers ?
Jean-Luc Perrard : Nous avons par exemple accompagné le Groupe dans ses premiers pas de vente de voitures en ligne, dans le développement des nouveaux processus de conception dans le cadre du programme PLM (Outil de gestion des données de conception sur la totalité du cycle de vie). Nous déployons une nouvelle génération d'applications de Supply Chain. Nous sommes un contributeur du programme Digital Employee. Ce programme de transformation est associé à la bascule vers des open-spaces dynamiques et la mise en place du télétravail. Nous avons mis en place cette nouvelle manière de travailler à l'occasion du déménagement du site historique de l'Avenue de la Grande Armée à Paris vers le « centre de pilotage » de Rueil.
A cette occasion, nous avons migré notre bureautique, y compris la messagerie et Sharepoint, vers Microsoft Office 365.
CIO : Puisque vous utilisez cette bureautique collaborative dans le cloud, avez-vous une politique précise en faveur du cloud public ou saisissez-vous des opportunités ?
Jean-Luc Perrard : Nous sommes, à l'heure actuelle, peu utilisateur de cloud public. Nous utilisons certains applicatifs en SaaS mais pour des raisons d'opportunité. Nous n'avons aucune doctrine figée en la matière. Si le coût et le service rendu sont en faveur du SaaS, nous choisissons le SaaS intégré au reste du SI. Nous avons plusieurs exemples, notamment en GRH.
De la même façon, la nouvelle version du configurateur de véhicule [sur le site web de chaque marque, NDLR] est hébergé dans le cloud public chez Amazon Web Services. Nous avons des discussions sur ce qu'il pourrait être pertinent de migrer. Mais jamais d'oukazes : le choix sera toujours effectué en fonction de la pertinence.
Dans le cas de Microsoft Office 365, cela va nous permettre un travail ubiquitaire et même d'envisager le BYOD.
CIO : Le sujet du véhicule connecté et du véhicule autonome est-il traité par la DSI ?
Jean-Luc Perrard : Ce sujet est une particularité. Normalement, la DSI est une fonction support pour chacun des métiers de l'automobile. L'informatique embarquée dans les véhicules n'est ainsi pas de notre ressort. Mais le sujet du véhicule connecté est une exception car nous sommes impliqués plus directement avec la direction R&D, avec un rôle opérationnel et de conseil.
Le Groupe a mis en place une business unit Services Connectés pour développer des services aux clients autour des données des véhicules connectés. Nous avons une entité commune avec cette BU, Connected Services Factory. Et pour la connexion du véhicule, la DSI est partie prenante. Nous avons une entité spécifique, CVSS (Connected Vehicle Services Information System).
Pour ces sujets, nous ne sommes donc pas en interface avec le métier mais dans le métier.
CIO : Quels seront vos grands sujets pour 2018 ?
Jean-Luc Perrard : Nous allons devoir traiter quatre grands défis. Les deux premiers sont les bases de toute DSI, ceux qui font qu'il n'est même pas utile d'aller plus loin s'ils ne sont pas relevés. Il s'agit de la qualité opérationnelle et de la maîtrise des coûts. Aujourd'hui, le Build représente 40 % de nos coûts, le Run 60 %. Nous sommes là dans la continuité de Back in the race.
Mais la DSI doit être « enabler de Push to pass » [celle qui rend possible ce plan, NDLR]. Pour cela, nous avons le défi du Boost IT. Il s'agit d'accélérer les projets et les déploiements de grands systèmes ainsi que, enfin, d'accroître la sécurisation de nos actifs IT, ce qui inclut la cybersécurité mais ne s'y limite pas.
Enfin, bien entendu, la quatrième défi sera l'intégration de Opel/Vauxhall. Cette intégration est menée par des équipes de Opel/Vauxhall depuis janvier 2018.
Lorsque Carlos Tavares est venu passer une demi-journée à la DSI en juin 2017, il nous a reconnu cette qualité d'armée de l'ombre qui soutient le business.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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